top of page

Espace et humain : comprendre et prendre place

Dernière mise à jour : 5 nov.


Personne de dos marchant au centre d’un vaste sol composé de dalles géométriques irrégulières, illustrant la relation entre l’humain et l’espace.
Espace et humain : une relation à habiter


Introduction


L’espace n’est pas neutre.

Il structure nos pensées, organise nos gestes, régule nos relations, modèle notre intimité.

Il influence la manière dont on se comporte, dont on parle, dont on se tient, dont on se sent.

Pourtant, dans la vie courante, on le traite souvent comme un simple “décor”, un cadre autour de nous.

Alors que l’espace est au cœur. Un agent. Un co-auteur invisible de nos façons d’être.

Il nous contraint… ou nous libère.

Il nous fait prendre place… ou nous écarte de nous-mêmes.


Dans cet article, je pose les bases de ce que j’appelle l’espace comme allié de l’existence, et je structure ma réflexion autour de quatre axes :

  1. Comprendre les différents types d’espaces

  2. Les différentes formes d’impact de l’espace sur l’humain

  3. À la croisée de la pensée et du vécu

  4. Construire son Espace


1. Comprendre les différents types d’espaces


Espaces de structure

  • Fixes : murs, limites, plans urbains, règles de circulation… Ils constituent la base de l’organisation de l’espace, et nous devons composer avec dans la plupart des cas.

  • Semi fixes : portes, meubles, îlots ou agencements modulables. Ils orientent nos interactions : certains rapprochent les gens (sociopètes, par exemple une grande table centrale), d’autres les dispersent (socio-fuges, par exemple des fauteuils isolés ou des bureaux séparés).


Espaces relationnels

La proxémie selon Hall décrit comment nous utilisons et ressentons l’espace autour de nous selon la relation avec les autres.

  • Intime (0–50 cm) : toucher, chuchoter, proximité très personnelle.

  • Personnel (50–100 cm) : proches, amis, échanges informels.

  • Social (1–4 m) : interactions formelles ou professionnelles.

  • Public (>4 m) : prise de parole, représentation ou communication à distance.


Espaces d’appropriation

  • Bulle personnelle : un espace invisible que chacun protège naturellement.

  • Territoire privé : chez soi, chambre, bureau ; des lieux que nous contrôlons et personnalisons.

  • Territoire public : rues, ascenseurs, salles d’attente… avec des codes d’usage implicites que chacun apprend et respecte.


Espaces d’échelle

  • Corporel : posture, champ de vision, mouvements du corps.

  • Mobilier et objets : hauteur, distances, textures qui influencent nos interactions.

  • Architectural : volumes, circulation, lumière et orientation qui structurent notre expérience de l’espace.


2. Les différentes formes d’impact de l’espace sur l’humain


  • Impact cognitif : facilite le repérage, l’attention et la compréhension grâce aux tracés, hiérarchies visuelles et clarté des parcours.

    Exemple : dans un musée, des flèches au sol et une signalétique claire permettent de suivre facilement le parcours et de mieux comprendre les expositions.


  • Impact émotionnel : influence le stress, la sérénité, le sentiment de confort ou de vulnérabilité selon la lumière, les seuils, les vues, les recoins et les matériaux.

    Exemple : une pièce lumineuse avec vue sur un jardin ou un paysage calme favorise la détente et l’apaisement.


  • Impact comportemental : encourage l’approche ou l’évitement, rester ou circuler, parler ou chuchoter, selon la disposition, la densité, les assises et la présence de portes ouvertes ou fermées.

    Exemple : un hall d’entrée avec des bancs près de l’accueil invite à s’asseoir et discuter, tandis que des couloirs étroits incitent à circuler rapidement.


  • Impact relationnel et social : structure les distances (proxémie), la qualité des échanges, la coopération ou la mise à distance, selon la position des sièges, face-à-face vs angles, ou la présence de tables intermédiaires.

    Exemple : des tables rondes favorisent la discussion et la coopération, tandis que des bureaux alignés encouragent le travail solitaire.


  • Impact identitaire et symbolique : raconte qui nous sommes, soutient l’appartenance et l’estime de soi via les objets choisis, les signes, les couleurs et la mémoire des lieux.

    Exemple : aménager un coin dans son salon avec ses livres, souvenirs de voyages ou objets de passion reflète son identité et son histoire personnelle.


  • Impact pouvoir et statut : met en scène hiérarchies ou horizontalité à travers les bureaux, seuils, surplombs, accès ou barres d’accueil.

    Exemple : un bureau surélevé dans une salle de réunion marque la position de l’animateur ou du dirigeant.


  • Impact sur le corps et les sensations : agit par les sens (acoustique, thermique, textures, odeurs) et influence posture et fatigue.

    Exemple : un sol dur et froid fatigue plus rapidement qu’un sol souple et chaud, et des pièces bruyantes peuvent générer stress et inconfort.


  • Impact sur les compétences et le développement (enfants) : facilite l’acquisition des concepts spatiaux qui soutiennent langage, écriture et autonomie.

    Exemple : des aires de jeu avec parcours, obstacles et repères visuels aident les enfants à développer coordination et repères spatiaux.


  • Impact sur l’autonomie et le pouvoir d’agir : permet de reprendre la main sur son quotidien par de petites modulations de l’espace semi fixe.

    Exemple : dans une cuisine, pouvoir déplacer un îlot ou réorganiser les rangements selon ses besoins améliore le confort, le plaisir et l’efficacité au quotidien.


  • Impact culturel et contextuel : codes de distance et normes d’usage qui varient selon les cultures, rendant nécessaire un design adapté au contexte.

    Exemple : dans certaines cultures, il est normal de se tenir très proche lors d’une discussion, alors que dans d’autres, maintenir une distance plus grande est attendu.


L’espace agit donc comme un véritable agent : il peut contraindre ou libérer, orienter les comportements, les émotions et les relations, et soutenir l’identité et l’autonomie.


3. Espace et humain à la croisée de la pensée et du vécu


Ces observations restent théoriques : le temps agit sur l’espace, sur notre mode de vie et nos habitudes, et les a modifiés.

De nos jours, « Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner » (Bachelard, La Poétique de l'Espace).


Plus que jamais, il est essentiel de prendre le temps d’observer et de comprendre pour mieux adapter, mieux vivre, mieux être.

L’impact de l’espace sur l’humain est colossal : il est primordial de le prendre en compte. Repenser nos espaces avec un nouveau regard, les considérer comme vivants et dynamiques, car ils interagissent avec nous au quotidien, sur le plan psychique comme sur le plan physique.

Nous vivons dans l’espace et nous vivons notre espace : dans notre tête, dans notre corps, avec tous nos sens.


Deux courants de pensée inspirent et nourrissent mon approche : l’espace pensé (Kant) et l’espace vécu (Merleau-Ponty).


🌌 Kant – L’espace comme forme de perception


Pour Kant, l’espace n’est pas une chose extérieure que l’on découvre : c’est une structure intérieure de notre esprit.

Avant toute expérience, nous possédons déjà une “grille spatiale” mentale qui rend possible l’organisation du monde.


  • L’esprit continue de situer ce qu’il est supposé y avoir autour de soi, même sans perception directe.

  • L’espace est ainsi intellectualisé : il constitue un cadre structuré qui permet d’ordonner, de prévoir et de rendre lisibles les lieux avant même que nous les parcourions.

  • Cette pré structuration influence notre manière d’agir et d’anticiper, et montre que l’espace n’est pas seulement perçu, mais pré perçu et pensé.


🫱 Merleau-Ponty – L’espace comme expérience incarnée


Pour Merleau-Ponty, l’espace se vit à travers le corps :

“Notre corps n’est pas dans l’espace ; il est à l’espace.”


  • L’espace n’est pas un cadre abstrait : il se construit et se transforme à travers chaque geste, chaque regard et chaque mouvement, intégrant nos sensations et nos rythmes corporels.

  • Il est intériorisé de manière inconsciente : nous ne faisons pas l’effort de le penser, il est vécu directement par notre corps et nos sens.

  • Cette dimension incarnée montre que l’espace est dynamique et vécu, influençant notre façon de nous adapter et de nous approprier les lieux.


⚖️ Articulation entre perception et expérience


Ces deux dimensions se complètent et se nourrissent :


  1. Espace pensé (Kant) → intellectualisé, structuré, repères, sens.

  2. Espace vécu (Merleau-Ponty) → intériorisé, incarné, sensations, rythme.

  3. Espace exprimé → identité, récit, affirmation de soi.


Quand perception et expérience s’alignent, l’espace devient narratif : il raconte qui l’on est, ce à quoi on aspire, ce que l’on choisit de laisser entrer ou non.

Cela permet de faire réellement l’expérience du lieu et de prendre place, dans toute sa dimension psychique et physique.


4. Construire son espace


Maîtres des lieux


L’espace n’est jamais donné de façon immédiate : « on ne trouve pas l’espace, il faut le construire » (Bachelard).

Concrètement, cela signifie que nous devons être maîtres des lieux que nous traversons ou habitons. Nous avons le pouvoir de choisir comment nous vivons les lieux et les événements qui s’y déroulent, de décider notre manière d’occuper, de ressentir et d’utiliser l’espace.


Viktor Frankl, psychiatre autrichien et survivant des camps de concentration, illustre parfaitement cette idée.

Dans son livre Man’s Search for Meaning (Découvrir un sens à sa vie), il développe la logothérapie : même dans les pires circonstances, nous gardons toujours la liberté de choisir notre attitude face à ce qui nous arrive.

Sa phrase célèbre résume bien cela :

« Tout peut être enlevé à l’homme, sauf une chose : la dernière des libertés humaines — choisir son attitude face à une situation donnée, choisir sa propre voie. »


Construire son espace, c’est donc oser décider, prendre place et se positionner, pour mieux exister dans le monde et dans les lieux que nous occupons.


L’espace comme expérience vivante et unique


Être maître de son espace implique également de reconnaître que chacun le perçoit différemment.

Notre relation au monde passe par nos sens, qui codent et filtrent l’espace selon nos expériences, nos souvenirs et nos émotions.

Un même lieu peut être ressenti comme confortable et chaleureux pour l’un, stressant ou contraignant pour l’autre.

L’espace touche à la mémoire, au corps et à la vulnérabilité : il réactive des traces du passé et influence notre présent. Reconnaître cette dimension, c’est permettre à chacun de s’y retrouver, de s’y reconnaître et de se sentir légitime à y prendre place, tout en affirmant notre liberté de construire et de transformer notre environnement.


L’espace n’existe pas tant qu’il n’est pas vécu. Il naît de nos trajectoires, de nos hésitations, de nos élans.

C’est un champ de forces : l’espace et l’humain s’influencent mutuellement, comme des forces qui s’opposent et se complètent.

Nous traçons des lignes de vie dans les lieux : passages répétés sans y penser, obstacles contournés par automatisme, angles évités après une mésaventure. Ce sont des cartes invisibles que notre corps dessine heure après heure.

Pourtant, la plupart du temps, nous ne le faisons pas consciemment : les lieux — leurs normes, leurs meubles, leurs habitudes — déterminent où passer, où s’arrêter, comment se tenir.

L’espace peut nous précéder, nous domestiquer. Mais nous ne sommes jamais condamnés à suivre ses règles. Nous pouvons reprendre le pouvoir sur notre manière d’habiter : décider de nos itinéraires, réécrire nos passages, déplacer ce qui nous contraint.

Dès qu’on le questionne, l’espace se transforme.

Dès qu’on le bouscule, il se réinvente.


Prendre place vs prendre de la place


Cette distinction se retrouve dans notre manière de s’approprier l’espace. On peut chercher à prendre de la place, ou apprendre à prendre place.


  • Prendre de la place consiste à occuper l’espace pour se faire voir, exister aux yeux des autres, souvent dans la comparaison ou la démonstration. C’est un mouvement vers l’extérieur : on “remplit” pour exister, on se justifie, on rivalise.


  • Prendre place, au contraire, consiste à habiter pleinement son espace, à exister pour soi et par soi. C’est un mouvement vers l’intérieur : on se positionne avec justesse, on affirme sa singularité, sans envahir ni écraser. On ne cherche pas à prouver quoi que ce soit, mais à être évident par sa présence même.


Cette logique s’applique à la fois à notre espace physique, à notre être, et à notre posture dans la vie quotidienne : habiter son intérieur, s’autoriser à être soi, et incarner sa valeur sans forcer ; voilà ce que signifie véritablement prendre place.


La véritable question devient alors : est-ce que je me contente de traverser l’espace… ou est-ce que je choisis d’y exister ?Vivre l’espace pleinement, le ressentir et l’orienter, c’est à la fois oser garder le contrôle et lâcher prise, se rééquilibrer, et prendre sa place.


Conclusion


Mon travail n’est pas juste de décorer, de travailler sur l’esthétique.

C’est de rendre lisible, sensible, habitable.

De donner du sens.

De permettre à quelqu’un de se (re)trouver à travers son espace.

Parce que l’espace n’est pas un contenant.

L’espace est un appui, un lieu d’expression et de vie.


Il faudra – très prochainement – parler du lieu le plus intime de tous : la maison.

Mais n'attendez pas, dès aujourd’hui, ici et maintenant…Prenez Place.

 

A lire aussi :


Commentaires


bottom of page